Retours sur 6 mois de mobilisation contre la loi Travail

 

Une mobilisation qui a mis du temps à démarrer mais d’une ampleur inédite dans la forme et la durée


Après l’annonce par le gouvernement PS du projet de loi El Khomri visant à détricoter le code du travail, les réactions syndicales ont été un peu longues à se mettre en place. Il a fallu attendre qu’une pétition électronique recueille plus d’un million de signatures pour qu’émerge une première date de mobilisation le 9 mars. Entre le 9 mars et le 15 septembre, plus d’une dizaine de dates de mobilisation et de grèves ont été appelées par l’intersyndicale CGT-FO-FSU-Solidaires-Unef. Une manifestation nationale d’envergure a réuni des milliers de personnes à Paris le 14 juin. On peut se réjouir de ce vent de politisation qui a parcouru le pays: le phénomène des Nuits Debout (autour du film de François Ruffin Merci Patron) a pris une ampleur inédite que personne ne pouvait prévoir. Même si la sociologie des participant-es serait à analyser plus précisément, les pratiques de débats et d’horizontalité des échanges ont été intéressants et ont permis à de nombreuses personnes de se réapproprier le débat politique.


Mais ce rejet des formes traditionnelles d’engagement (partis, syndicats, associations) a été également une difficulté pour créer du lien avec le mouvement syndical. Les réticences entre les Nuits Deboutistes et les syndicalistes ont été fréquentes. Les Nuits Deboutistes ont incriminé les stratégies intersyndicales trop timides alors qu’il était souvent reproché aux Nuits Debout leur inefficacité et leur absence de structuration et de réponse politique.


Reste que des milliers de salarié-e-s ont fait grève et ont défilé, conscient-e-s du recul historique pour notre classe sociale que constituait le vote de cette loi. La majorité des Français-e-s était opposée à cette loi pour laquelle le président élu en 2012 n’avait aucun mandat.


Le retour des « jeunes »


La mobilisation est partie des lycées parisiens mais les lycéen-nes et étudiant-es n’ont pas été en reste en banlieue et en province. Il s’agissait pour la plupart d’entre elles et eux de leurs premiers pas dans l’engagement. Pendant près de trois semaines, les cortèges lycéens et étudiants ont mené les manifs. Des coordinations lycéennes et étudiantes ont vu le jour. La répression policière, les pseudos concessions aux organisations dites de jeunesse et l’approche des examens ont malheureusement enterré le mouvement qui n’a d’ailleurs jamais vraiment pris d’ampleur dans les universités.


 

Vers une nouvelle radicalité


Face au dispositif de maintien de l’ordre sans commune mesure avec ce que nous connaissions par le passé, on a pu noter une nouvelle forme de radicalité assumée au-delà du cercle traditionnel des manifestant-e-s dits « radicales et radicaux ». Des groupes, comme le MILI (plutôt jeunes), ont publiquement assumé cette radicalité et cette volonté d’en découdre avec les forces de l’ordre, volonté partagée aussi par des étudiant-e-s et des salarié-e-s « lambdas ». Mais cette stratégie peut s’avérer être un frein à la massification des cortèges.


On bloque tout?


L’idée d’un blocage de l’économie comme levier important dans la construction du rapport de force fait son chemin. L’appel « On Bloque Tout» signé par des militant-e-s syndicaux d’horizons divers mais porté en grande partie par des camarades de Solidaires a sans doute contribué à populariser cette idée. La difficulté majeure a été d’articuler et de coordonner les blocages d’activités par les grévistes des secteurs concernés eux-mêmes. Cela a pu être le cas pour les raffineries ou les ports. Cela était moins vrai dans d’autres endroits où les salarié-e-s n’ont pas toujours été partie prenante de blocages initié par des salarié-e-s extérieurs. L’avenir de l'appel « On Bloque Tout» est posé aujourd’hui pour essayer de le transformer en réseau capable de mettre en lien les militant-e-s combatifs de syndicats différents. (CGT, CNT, FO,
Solidaires, FSU, LAB)


Des freins puissants à un mouvement de grève reconductible


Le bilan qui avait été fait par l’Union Syndicale Solidaires après les mobilisations de 2010 contre la réforme des retraites avait mis en cause les stratégies de l’Intersyndicale de l'époque. L’impact important, dans l’IS, des syndicats réformistes (notamment de la CFDT et de l’UNSA) avait conduit la mobilisation à l’échec. En 2016, par contre, l’IS a été principalement limitée à la CGT, Solidaires, FO et FSU : les 2 premières orgas ayant été résolument combatives, les 2 dernières s’étant montrées souvent contradictoires (FO) ou fantomatiques (FSU). Mais elles n’ont pas réussi à entraîner suffisamment de pans du salariat dans la grève et dans la grève reconductible. Éclatement de plus en plus fort du salariat, individualisation grandissante et précarité accrue des salarié-e-s, difficulté d’avoir des collectifs militants combatifs sur les lieux de travail, capables de faire sortir les salarié-e-s dans la rue: la faiblesse des organisations syndicales est un facteur à prendre en compte. Ce n’est pas faute d’avoir essayé pour la plupart des OS. L’interpellation classique: les "bureaucraties syndicales ont trahi" ne nous semble pas efficiente pour ce mouvement. Certes les temporalités d’appel à la grève auraient pu être meilleures, certes certaines OS (par exemple la CGT dans le rail) n’ont pas voulu aller résolument au combat. Même si plusieurs secteurs (bastions syndicaux historiques) ont pesé dans le mouvement en causant un blocage partiel de l’économie, dans les ports, les raffineries, le nettoyage, cela n’a pas suffi. Pas sûr qu’un appel national, même unitaire, à la grève générale reconductible ait entraîné plus de salarié-e-s dans l’action. La faiblesse également des liens interprofessionnels est à prendre en compte. Il n’y a finalement eu que peu de territoires avec des AG interprofessionnelles efficaces et représentatives de secteurs mobilisés. Certaines AG de ville ont réuni plus de 200 personnes mais il s’agissait surtout de militant-e-s de secteurs professionnels différents qui se rassemblaient pour faire des actions de blocage et non pas de personnes mandatées par des AG de secteurs professionnels déjà mobilisés.


La faiblesse de la mobilisation dans la Fonction Publique a également pesé. Ce mouvement a été vécu par les fonctionnaires comme relevant uniquement du privé. De plus, dans l’Education Nationale, on assiste à un important repli catégoriel et corporatiste. Les personnels ont de plus en plus de mal à s’impliquer dans des mobilisations interprofessionnelles, déjà qu’il est difficile de mobiliser les personnels de l’EN sur des revendications unifiantes entre le 1er degré et le 2ème degré (sans même parler du Supérieur ou des personnels non enseignants).


Les salarié-es rechignent à faire grève. Les situations précaires rendent les grèves difficiles (salaires insuffisants, isolement, craintes de perte d’emploi...) Les journées de grève saute-mouton ne permettent pas que les revendications puissent aboutir, donc pourquoi les travailleurs-ses perdraient-ils leur journée de salaire pour une cause perdue d’avance ? Dans de nombreux secteurs (comme dans l’EN), les grèves gênent peu et ne bloquent rien. Seule la grève reconductible dans les secteurs bloquants peut contraindre un gouvernement à négocier mais trop peu de travailleur-ses tiennent sur la durée parce qu’ils/elles se sentent isolé-es. De plus, le gouvernement de François Hollande en 2016 a calqué sa stratégie sur celle de Sarkozy en 2010 : ne rien lâcher et attendre que la mobilisation s’épuise en renforçant toujours les dispositifs répressifs.


La répression policière et les techniques de maintien de l’ordre à l’égard des cortèges ont effrayé bon nombre de salarié-e-s et les ont empêché-es de venir manifester. Jamais la police n’avait été aussi provocatrice à l’égard des cortèges syndicaux, dans les grandes agglomérations : cortèges coupés en deux, nasses policières, utilisation de grenades de désencerclement, tirs tendus de flashball, présence massive en tête de cortège dictant le tempo de la manif pour en arriver aux parcours avec fouilles systématiques à l’entrée, impossibilité de prendre le cortège en cours de route etc... Ces techniques sont utilisées depuis des années dans les quartiers populaires et dans les mobilisations type Notre Dame des Landes ou ZAD. La nouveauté réside dans la mise en place à une échelle bien plus vaste de ces techniques et dans l’utilisation de l’arsenal législatif relevant de l’État d’urgence pour restreindre les libertés publiques et individuelles : interdiction de manifester, interdictions préventives individuelles de manifester, assignation à résidence de militant-e-s etc... Ne soyons pas dupes : il s’agit là d’une volonté délibérée du pouvoir de mettre l’accent dans les médias sur la supposée violence des manifestant-e-s en tentant de diviser le mouvement social et d’isoler les contestataires du reste de la société. Malheureusement ces techniques ne font que préfigurer la criminalisation accrue du mouvement social dans les mois et les années à venir.


Des convergences internationales encore balbutiantes


La Loi Travail avait été déjà déclinée dans d'autres pays européens et les convergences internationales ont pu être recherchées. Selon une des orientations de notre dernier congrès, « l’internationalisme est une des valeurs fondamentales du syndicalisme que nous construisons (...parce que) la lutte des classes ne s’arrête pas aux frontières des Etats ! » Grâce au Réseau syndical international de solidarité et de luttes et au Réseau Européen des Syndicats Alternatifs et de base, les manifestations et rassemblements de solidarité ont été nombreux à l'étranger et relayés par l'Union syndicale Solidaires. Des rencontres-débats ont été organisées en Italie pour montrer le parallèle entre la Loi El Khomri et le Jobs Act. Un travail commun a été mené avec des syndicalistes belges en lutte contre la Loi Peeters mais aucune véritable mobilisation combative européenne n'a pas pu avoir lieu.


Quelles perspectives ?


Confronter le bilan des mobilisations de 2010 avec celui de 2016 met en évidence que, malgré des stratégies syndicales plus combatives, les mêmes effets ont été produits ce qui nous pose question pour les prochaines mobilisations.


« L’idée qu’il n’y a pas d’alternative possible aux reculs sociaux dictés par le libéralisme et la mondialisation est un mensonge qui fait recette. Combattre ce fatalisme doit être une des premières exigences d’un véritable syndicalisme de lutte . (...) L’Union syndicale Solidaires (...) n’a cessé de proposer de construire un rapport de force interprofessionnel et unitaire, malheureusement sans beaucoup d’effets étant donnés les rapports de force intersyndicaux actuels et nos capacités d’initiatives propres. La situation doit nous amener à questionner nos propres responsabilités, les campagnes, initiatives et propositions que nous portons auprès des salarié-e-s.» (Pour une remobilisation du monde du travail - Texte adopté lors du 7ème congrès de la fédération SUD éducation)


Quelles peuvent donc être nos perspectives à court terme ?


Celle de l’appel « On bloque tout », vers un réseau intersyndical de lutte ? « faire émerger un réseau pérenne de syndicalistes de lutte, mener des débats, des actions, ouvertes et plurielles, contribuerait à redonner du souffle au syndicalisme de lutte dans toute sa diversité. Cette unité intersyndicale gagnerait à s’incarner dès la base ».


Celle de la campagne de Solidaires (initiée par SUD Education) d'abord intitulée : Redonner de la voix aux mouvements sociaux ?


Cette campagne ouverte aux autres mouvements sociaux, couvrant notamment la période des élections présidentielles et législatives, sera destinée à faire la démonstration que le syndicalisme et, plus largement, le mouvement social ont leur mot à dire pour améliorer les conditions de travail mais aussi, au-delà, pour transformer la société et proposer un projet  alternatif au capitalisme. Il ne s'agira pas de mener une campagne abstentionniste ou anti-électorale mais bien d'affirmer haut et fort que le syndicalisme que nous pratiquons est aussi un moyen de changer les choses. En interne, cette campagne permettra en outre aux adhérent-es de Solidaires de s’approprier les revendications liées au projet de société porté par l’Union syndicale, notamment grâce au cahier revendicatif produit à l’issue du dernier congrès, et de diffuser massivement ce projet en lien avec d’autres forces du mouvement social. Concomitamment, Attac vient de lancer une initiative qui s’inscrit à quelques nuances près, dans la démarche initiée par Solidaires. Nous souhaitons que notre Union Syndicale s'y implique pleinement.


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